J'arrive avec ma colère, ma rage et mon histoire...
J'ai 16 ans. Depuis longtemps mon corps n'existe pas. Coupé. Isolé dans une armure de colère et de rage d'impuissance. La tête seule a voix au chapitre. Je suis nulle, mais personne ne doit le savoir. Je suis nulle, et je serai parfaite pour que tout le monde m'aime. Aimez-moi je ne m'aime pas. Aimez-moi mais ne m'approchez pas.
Ca fonctionne. Etudes brillantes, travail prestigieux, amis, sorties. J'ai 21 ans. La tête est satisfaite. Le corps est toujours enfermé, malmené, étouffé de colère et de rage impuissante. Excès de toutes sortes, pour oublier ce corps en trop. Un corps souffrant qui ne souffre pas : les sensations sont interdites.
25 ans. Accident de parcours. Un Gentil Garçon. Qui s'accroche malgré mes avertissements et prédictions sombres : "l'amour c'est de la mer##, tout ça finira mal comme d'habitude et moi je mourrai seule et moche mangée par mes chiens". Il rigole, car je n'ai jamais eu de chien, il y a donc de l'espoir, dit-il.
Sauf qu'à commencer à ressentir des émotions tout craque. Les amis, le travail, la famille : tous ces gens m'aiment-ils ou abusent-ils ? Pourquoi ont-ils tous les droits et moi aucun ? De la faille béante ressurgit la colère et la rage de l'impuissance. Trop longtemps enfouies elles jaillissent avec violence, envahissent et détruisent tout ce que la tête avait construit. Le corps se met à hurler, et moi avec. J'ai 26 ans. Je quitte tout. Sauf Gentil Garçon.
Ma colère et ma rage d'impuissance se déversent sans fin. La colère n'est pas une amie mais je dois la regarder dans les yeux, l'écouter et comprendre. Je remonte mon histoire et le flot de mes émotions. Derrière la colère et la rage, la douleur, la tristesse, la solitude, l'incompréhension. Mais aussi enfin la joie, l'amour, la liberté, la douceur, l'intensité... La vie !
J'ai 30 ans. Je vis enfin. Tête et corps s'apprivoisent et dansent. J'ai changé d'amis, de profession, remué ma famille. Je sens, ressens, ris et pleure. Je respire. C'est la vie !
J'ai 32 ans. J'attends un enfant. Haptonomie, Gentil Garçon et moi nous régalons de masser ce bébé dans mon ventre bulle. Yoga, respiration. Je me fais confiance. Je me sens bien. Je choisis une naissance naturelle, mon corps saura faire.
Accident de parcours. Après un examen de routine, on me garde à la maternité. Il va falloir accoucher là. C'est le choc. Attente interminable. Et puis déclenchement, puisque ce bébé n'a pas décidé d'arriver quand ils l'ont décidé. J'ai peur.
Je suis en colère. Contre la sage-femme qui m'a assuré que je pourrai accoucher tout comme si c'était naturel.
Je suis en colère. Je ne peux pas faire deux pas, le monitoring tombe. La perfusion s'arrache. J'aimerais bouger. Je ne peux pas. Je croyais y arriver. Je n'y arrive pas. La machine à hormones impulse son rythme et mon corps n'a rien à dire. Corps entravé. Tête à la dérive.
J'accouche et mon corps n'existe pas.
Je craque. Hurle.
"Ne criez pas comme ça, vous allez effrayer les autres mamans !".
Colère. Rage d'être impuissante.
Mon petit bonbon est enfin là. Mais la tête a coupé toute communication avec le corps. Plus d'émotions. Plus de sensations. Et on me l'enlève déjà, trop froid. Evidemment, il fait 16 degrés dans la pièce. Il serait tellement mieux contre moi, comme je l'avais imaginé. Colère. Rage d'être impuissante.
Et on reste à la maternité, un jour, deux jours, dix jours. Le bonbon ne prend pas de poids. Allaitement difficile. Moi qui croyais encore que l'instinct fonctionnerait... Les sages-femmes défilent à chaque mise au sein. Pudeur au placard. Il paraît que tout va bien. Je sens bien que non. Colère, rage d'être impuissante.
J'ai 33 ans, Mon corps n'existe plus. Ma tête a renoué avec la colère. Sans fin. Sans fond. Je n'ai pas réussi à accueillir mon bonbon dans la douceur, la chaleur, la vie tranquille. J'ai un bébé colère, qui ne dort pas, ne se pose pas, ne laisse aucun répit. Je suis en colère, j'enrage. Et à chaque fois que je n'arrive pas à le calmer, qu'il ne dort pas, qu'il pleure, la colère et la rage d'être impuissante sont là. Je les hais. Les vieux réflexes reprennent du service. Etouffer le corps et les émotions sous des tonnes de bouffe. Mais ça ne marche pas comme ça.
Je sais bien qu'il va falloir que je regarde de nouveau la colère et la rage de mon impuissance dans les yeux. Que tête et corps se réconcilient, de nouveau. Accepter pour apaiser. Revenir aux sensations, aux émotions, à la vie. Mais je me sens trahie. Et si fatiguée. Je l'ai déjà fait, je ne suis pas sûre d'avoir la force de recommencer.
Mais le bonbon grandit, il ne peut pas être un bébé colère, ce n'est pas sa colère. Je ne veux pas qu'il prenne exemple sur moi, toujours un truc à manger quand ça ne va pas. C'est une boule d'amour, et la colère et la rage m'empêchent d'en profiter. Alors cette fois-ci je m'inscris ici, pour avoir du soutien, vous lire fait beaucoup de bien...
Vous devez vous connecter pour poster un commentaire
Vous devez préalablement être authentifié auprès de votre assureur afin d'accéder à nos services
Répondre
Picota, je voulais te dire que ton témoignage m'a beaucoup émue et que je m'y suis beaucoup retrouvée.
Moi aussi, j'ai décidé de travailler sur moi, et pas seulement au niveau alimentaire, car je ne voulais pas que mon bonbon, qui a été aussi un bébé colère et qui est encore parfois un petit garçon colère, devienne un homme colère.
Je sais bien que je ne peux pas faire en sorte qu'il soit heureux toute sa vie et qu'il ne connaisse aucun malheur, ni aucune souffrance mais je voudrais juste qu'il arrive là où j'en suis un peu plus vite que moi, qu'il lui fasse moins de temps que moi pour arriver à cet apaisement et cette acceptation de ses émotions et de qui l'on est. Qu'il passe moins de temps que moi, seule avec cette colère. Qu'il profite de la vie et de ses bienfaits, malgré tout.
Aujourd'hui, petit à petit, je le vois, tout ça porte ses fruits et c'est un petit garçon qui s'ouvre de plus en plus, plus apaisé, plus rayonnant. Il y a encore des moments difficiles où je le vois en proie à ses émotions douloureuses. Tout ce que je peux faire, je pense, c'est lui montrer l'exemple, l'exemple de comment faire pour gérer ça, que ressentir est légitime et que ça peut parfois être douloureux mais qu'on peut faire en sorte que ça ne dicte pas notre vie et nos actes.
Bonsoir Picota,
L'histoire de la venu de ton petit bonbon m'a rappelé celle de mon monstrosor n°1. Moi aussi j'étais en colére aprés la sage femme qui m'avait fait de belles promesses et m'a laché au dernier moment. En colére aprés ce bébé qui ne voulait pas têter et de mon entêtement à vouloir bien faire. En colére aprés les autres femmes qui osent te juger car finalement tu as décidé de ne pas allaiter. En colére aprés la sage femme qui ose me juger car je n'allaite pas et qui pourtant n'a pas été là pour m'aider quand c'était nécessaire.
Bref ma colére a déteint sur mon monstrosor qui c'est fait une grande joie de me la renvoyer en pleine figure. Et oui les bébés sont des éponges à émotions. Si tu n'es pas bien, ils ne le sont pas non plus. Heureusement ma famille et le papa étaient là pour me soutenir. Heureusement le fait de reprendre le boulot m'a permit de prendre de la distance avec bébé et de me sentir mieux avec elle quand nous étions ensemble. Au jourd'hui bébé a 12 ans et c'est une grande fille géniale qui ne m'en veut pas du tout de ne pas l'avoir allaiter !!
Du fait de cette colère, j'ai mis 5 ans à oser avoir un nouveau bébé. Là j'ai décidé de prendre ce qui arrivait comme ça arrive. J'ai oser dire aussi ma façon de penser à la sage femme (une autre) quand elle m'a lacher et que du coup je suis resté 8 jours à l'hopital au lieu des 3 jours prévus. Du coup j'ai mieux vécu cette grossesse et l'accouchement. Bébé a été mieux aussi, plus cool !!
Je suis sur que LC te permettra de gérer cette colére et l'image que tu as de toi.
Bon courage.
Bienvenue à toi
concernant la colère et l'impuissance, tu apprendras à utiliser la première et à accepter la deuxième pour ce qu'elle est
le sentiment d'impuissance est l'un des plus difficiles à accepter de vivre, et bien souvent s'y mele la culpabilité de l'impuissance, qu'il me semble lire entre les lignes
je te souhaite un bon démarrage
Merci de votre accueil, de votre partage et de votre bienveillance !
Merci de m'avoir lue, j'ai l'impression que d'avoir déposé ici ce pavé et d'y lire vos réponses me soulage déjà d'un grand poids !
J'étais dubitative sur cette histoire de virtuel et de forum, mais finalement j'ai bien l'impression d'être au bon endroit...
Bienvenue à toi
Ton message est très touchant et ne m'a pas laissé indiffèrente mais il était tellement fort que je n'ai pas trouvé les mots...
Tu as raison tu es au bon endroit
Bon courage
Merci Yzaline !
J'ai l'impression d'avoir fait un petit pas en écrivant mon parcours, et un autre en lisant vos réponses...
Merci !
Big Hug! Xx
Pascaline
J'adore les câlins
TiteLili
Merci pour les encouragements et le soutien !
Izabelle
Effectivement il y a aussi la culpabilité qui traîne là-dessous, et la culpabilité de me sentir coupable... C'est dire s'il y a du boulot !
Pinder
J'ai la chance d'aimer écrire, merci pour le compliment ! Ces mots-là me tournaient dans la tête depuis longtemps, et je les ai écrit d'une main sur le clavier, l'autre tenant le bébé, 3 lignes par jour dès que j'avais le temps... Et d'avoir été lue et "entendue" est encore plus libérateur ! Je t'encourage quand tu en as l'envie d'écrire ce qu'il te passe par la tête, sans te soucier que ce soit "bien" écrit. C'est de l'énergie qui circule enfin, et ça c'est forcément "bien" !
Isades
Merci pour ton témoignage ! Je me rends compte que beaucoup de gens se permettent des jugements et des décisions quand il s'agit de grossesse, d'accouchement, de bébés, alors même que c'est une période de fragilité pour la maman. Tes enfants vont bien, c'est que tu es la meilleure
Cilou_cile
Merci pour ton partage, et ta sagesse. Je crois aussi que les enfants apprennent beaucoup par l'exemple. J'espère que chez nous aussi, la colère va s'apaiser...