J'ai une vie à vivre
Bonjour
Je m'appelle Maïla et j'ai 35 ans. Je suis artiste plasticienne et chanteuse, et un peu danseuse aussi, quand je ne suis pas trop loin de mon corps.
J'ai commencé à avoir des problèmes de conduite alimentaire dès 4 ou 5 ans je crois, sûrement à cause de l'ambiance délétère de la maison. Je suis très sensible et le moins qu'on puisse sire c'est que mon entourage n'a pas fait grand cas de cette sensibilité; qui ne s'est jamais accoutumée aux quolibets, aux cris, aux coups, aux tyrannies paternelles et aux brutalités écolières et collégiennes auxquelles j'ai eu affaire, toute première de la classe que j'étais.
C'est l'histoire d'un grand malentendu: toute ma vie j'ai voulu faire de mon mieux ce que j'avais à faire, j'y ai mis tout mon coeur, pas pour écraser les autres, mais pour "mériter" l'amour des autres, et ironie fatale, c'est toujours l'inverse qui s'est produit. Mes efforts étaient récompensés par plus de haine, et ma solitude agrémentée de plus d'exclusion. C'est la voie royale vers les troubles alimentaires: pas de soutien à la maison, un perfectionnisme tyrannique exigé par mes parents que j'ai fini par incorporer, de sorte que j'ai en quelque sorte "avalé" le petit nazi qui passe son temps à me critiquer et à m'humilier, et une inclusion sociale assez houleuse, voire traumatique. A douze ans je mangeais trop, je me suis arrondie, pour mettre plus de distance avec toute cette haine qui se jetait sur moi. A treize ans il y eut le choc de trop, la trahison ultime, l'humiliation définitive, le découragement total. Et une amie a surgi du fond de mon désespoir, l'anorexie et son moral d'acier, son déni royal, son opium anesthésiant. Plus rien à foutre de rien ni personne, je flotte, je vole, laissez-moi, salut salut. Mais alors, rattrapée en plein vol, on me mit dans une cage rustique, anachronique, un asile pour enfants, car là où j'ai grandi, à la Réunion, pas de psy à la mode, pas d'émission branchée, la psychiatrie c'est à l'ancienne, des murs épais, des grilles et des cellules d'isolement. Ma thérapie consista en un contrat de poids.
"Pour sortir faut bouffer". Je résistai quelques jours, le temps de descendre encore un peu vers le 0 pointé, et puis une vague s'est levée, j'étais battue, et cette reddition me valut vingt ans d'alternance de boulimie et d'anorexie, de jeûnes et de pléthores, de régimes et de lâchages pour arriver aujourd'hui ici, un peu lasse mais pas abattue. Je connais tous les régimes, toutes les combines, tous les "trucs", mais la force pulsionnelle en moi a toujours invariablement réduit à néant les efforts titanesques que je déployais pour retrouver la légèreté de l'ange pas concerné par ce monde qui se bat avec son ombre.
Car c'est la vérité, tout forçat du contrôle que l'on soit, l'envers de la force est proportionnel, voire galvanisé d'inertie. Car c'est sur soi-même que l'on tire, et on ne le sait pas. On cherche à tuer le gros en soi, à mater le faible, le nul, le bon à rien, celui qui ne trouve pas sa place dans ce merdier, alors que le seul geste approprié est de lui ouvrir les bras et de recueillir ses sanglots, sans rien dire, sans chercher à minimiser sa douleur par des formules qui ne rassurent que celui qui ne sait pas quoi faire de toute cette souffrance.
Il n'y a rien à faire de la souffrance crue, il n'y a qu'à être là et se taire, par respect pour toute la douleur récoltée au fil des mauvaises rencontres, qui ont délesté les uns d'un peu de haine et alourdi les autres d'un peu de larmes.
Alors je suis là aujourd'hui car j'ai vu en face le tyran que j'étais devenue pour moi-même et cela m'a fait de la peine de réaliser que j'avais appliqué à la lettre sur moi-même les mêmes méthodes qui m'avaient mise sur la voie des troubles alimentaires.
Tout cela est si dur, si inhumain, si objectivant. Mais nous ne sommes pas des machines sans âme, et nous ne mangeons pas du carbone et de l'azote. C'est d'amour qu'il s'agit. Un amour sans propriétaire, sans leader charismatique qui se le revendique; c'est l'amour qui nous est livré en venant au monde dont je parle, et dont nous sommes tous équipés, même les plus infortunés, car c'est l'amour du fait même d'être. Rien de mystique ni de religieux dans ce discours, mais juste un idiot constat: la vie s'aime en permanence, puisqu'elle met sur sa route tous les ingrédients de sa survie. Et ne sommes-nous pas des éclats de cette vie? Je me suis longtemps crue une intrue dans la vie, une exilée sans papiers, une martienne sans attache, devant gagner son droit d'entrée dans une communauté des humains qui mettaient un soin toujours renouvelé à le lui refuser.
Et puis j'ai vu que cette idée saugrenue était impossible, que de fait, de naissance, je un être humain aussi digne que les autres, et que la vie n'est peut-être pas le bagne auquel je me suis habituée.
C'est pour cette raison que je me retrouve ici parmi vous, sur cette pente douce et discrète, moins spectaculaire que toutes celles que j'ai remontées jusqu'alors, mais en haut de laquelle j'ai l'intention de laisser mon rocher de Sysiphe extenué, pour poursuivre ma route sans boulet, et vivre cette vie que j'aurai repoussé bien plus qu'elle ne l'aura fait.
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Bienvenue Maila, avec toute ta richesse intérieure et ta sensibilité! Je sais ce que c'est de se sentir différente, une extra-terrestre qui cherche l'approbation pour faire partie de "ce" monde
récemment je me suis libérée du regard et de l'approbation des autres et c'est là aussi où ça change tout : notre potentiel demande à être exploité, sous peine de déprime totale!
j'espère que ta richesse va briller comme un diamant et bienvenue ici !
Bonjour Maïla, je viens de démarrer ce programme et je decouvre comment fonctionne le site. Le titre que tu as donné pour débuter le forum est très accrocheur car en effet, on s'en met des boulets...alors que la vie vaut simplement d'être vécue (facile à dire!!) mais surtout je te remercie pour nous confier ce bout de ta vie qui avait l'air effroyable et cette vie pour laquelle tu sembles bien déterminer à la savourer pleinement, sans n'être plus un tyran pour toi-même. Tu as une très belle écriture et quelle avancée dans la connaissance de ton être. J'espère que tu as trouvé ta voie en tout cas
Je débute alors je découvre et on verra si ca marche aussi pour moi ;-)
aurelia